Le four banal

N°27 - LE FOUR BANAL DE CHOISEY DU XVe AU XVIIIe SIECLE

Les mots BAN, BANAL et BANALITES, sont des termes qui se rattachent spécifiquement à la féodalité.

Le ban - Au XIIe siècle, mot emprunté au francique, était une loi dont la non observance entrainait une peine. En cas de menaces imminentes, le suzerain pouvait par exemple convoquer le ban, voir l'arrière ban, c'est à dire réunir l'ensemble de ses vassaux armés, et tous hommes libres, en capacités de rendre une aide, ou des secours appropriés. Par extension, le seigneur pouvait ordonner des bans de vendanges, dont les dates d'ailleurs pouvaient varier selon les climats, ( les lieux-dits ) à cause de la variété des plans et de l'exposition. On " battait le ban " des récoltes, ban du foin, des regains, des moissons, des vendanges, etc. La " levée de ban ", correspondait à l'autorisation de commencer la récolte. La non observance des bans était pénalisée.

Les banalités - Le terme désignait les droits qu'avaient les seigneurs de contraindre les hommes de leur juridiction à user des biens banaux en leur possession, pour leur usage collectif ; tels les fours, les moulins, les puits, les pressoirs etc.. Les seigneurs avaient donc le monopole de ces usines, et leurs sujets étaient dans l'obligation d'en faire usage contre un impôt ou en nature, sous peine de contravention.

Concernant la fabrication du pain, le paysan subissait d'abord l'interdit de se servir éventuellement de son moulin à bras, il faisait lui-même sa pâte ou ses tourtes mais était dans l'obligation de les cuire dans le four banal, non ailleurs, et surtout pas dans son propre four qui pouvait le cas échéant être démoli.

Le four banal de GRIGNAN :

Le four banal de MONBLANC :

Le four banal d'URVAL:

Le four banal de CHOISEY :

Le plan premier du cadastre de 1784, élaboré par le géomètre Fénéon et déposé à cette date chez madame Richardot de Choisey ( château de Menthon ), en marque bien les contours. Le bâtiment était situé devant et au sud de l'actuelle maison communale dite " du Puits ".

De forme rectangulaire et orienté Est-Ouest, le four empiéterait aujourd'hui de plusieurs mètres sur la rue d'Amont. On peut supposer que la rue moyenâgeuse était beaucoup plus étroite qu'aujourd'hui. Le puits banal toujours existant mais dépourvu actuellement de ses margelles, jouxtait le four. En 1779, Philippe Jeunier signe un reçu de quatorze livres " pour avoir fournis trois margelles et un crampon, et le mortier pour les poses, au puis du four de la communauté." Son eau toujours fraiche en été provenait de la colline. Le bâtiment du four était assez grand au vu du devis de réparation établi par Pierre Gerdy en août 1780. Ce maitre maçon de Dole avait la confiance de ceux de Choisey, car il venait d'achever à la perfection la maison seigneuriale des dames Ursulines.

Devis du four de 1780 :

Dans ce devis de reconstruction, le mur gouttereau du côté bise " produit 16 toises 9 pieds ", ( la toise carrée = 6,3 m² , le pied carré = 0,1055 m² ) le mur côté vent a la même surface, deux murs de refend à l'intérieur " produisent " 29 toises 14 pieds, et la voûte et les deux murs de soutien produisent 15 toises 10 pieds.

La charpente est envisagée à neuf, avec une grande ferme et trois demies, les pannes ( poutres ) pour une longueur de 700 pieds courants en bois de 7à 8 pouces. ( le pied = 0, 32 m, et le pouce = 27,07 mm ). Ces mesures nous donnent une idée de l'importance du four banal de Choisey. Cette reconstruction s'imposait depuis longtemps mais elle est d'autant plus étonnante, qu'à l'époque, beaucoup de paysans faisaient leur pain dans leur propre four, leurs dates de construction encore aujourd'hui l’attestent.

Dans la transaction, pierre Gerdy s'engage avec monseigneur le prince de Montbarrey pour les trois quarts du marché, et pour l'autre quart, entre monsieur de Choisey ( Richardot ) et Garnier, pour 1/16e, et les dames ursulines pour 1/8e. Les ouvrages ont été toisés à la toise de Roy par le sieur Amoudru de Dole, qui en a porté l'estimation à la somme de deux mille soixante et onze livres, huit sols, un denier.

Dans le détail on mentionne deux cheminées, une grande et une petite et également deux fours, un grand et un petit. Les deux murs de refend devaient cloisonner le bâtiment en trois salles voûtées.

Le contrat stipule " qu'il n'aura toute sa valeur qu'après que Monseigneur le prince de Montbarrey l'aura signé et accepté ". Une note du 7 octobre 1780 signale que le double du devis et marché signé du sieur de Montbarrey a été envoyé à M. Ducher Jeunier de Choisey.

A. Rousset relate " qu'en 1850, en démolissant le four banal derrière l'église, on trouva une meule de moulin à bras et un grand nombre de monnaies du Moyen Âge.

L'ancien four banal et les aléas des réparations :

La mouture du grain et la cuisson du pain qui faisaient partie des fonctions essentielles de survie ont dû très vite devenir communautaires avec la formation de la première paroisse et l'édification de l'église. Dès que Guillaume sire de Choisey s'est signalé dans son château du Truchot en 1255, le four commun a dû probablement devenir banal, si ce n'est lui qui l'a créé. Quelques textes de vente ou de réparations nous parlent du four banal de Choisey du XVe au XVIIIe siècle.

Dans un acte du 24 mai 1440, Pierre de Choisey, seigneur de Parthey et de Choisey en partie, cède à Jacques de Rochefort une rente de douze livres estevenantes " annuelle et perpétuelle " que lui rapporte le four de Choisey, contre une somme ( illisible sur le texte ) en ducats d'or. " Je le dit Pierre, de faire consentir à ce fourg vendaige, ma mère, mes frères et seurs ". Dans ces temps d'appauvrissement des petites seigneuries, les revenus des fours sont encore appréciables.

En 1446, le duc de Bourgogne qui a installé les frères de Pierre de Choisey, Jean et Hélyon, à Longeault et Mâlain, partage par moitié les revenus du four banal au Rouvre et ceux d'un autre four en la terre de Longeaul et Pluvet

Après l'annexion de la province par les troupes de Louis XI en 1479, les châteaux de Choisey et Parthey sont en ruine, et le four banal n'a pas dû être épargné.

Le 20 septembre 1523, les prud'hommes et échevins de Choisey s'adressent à Dole, au lieu des Halles d'illec, à honorable Pierre Rossigneux, notaire, pour que ce dernier présente à Guyot de Falerans seigneur de Grandchamps et Choisey qui perçoit le quart des revenus du four de Choisey, de bien vouloir refaire le dit four qui tombe en ruine; ce à quoi il fut répondu que le sire de Falerans n'avait aucune charge sur le four de Choisey.

Le 10 novembre 1523, les habitants prennent le taureau par les cornes, et mènent en procès leurs seigneurs. Ils exposent à la cour souveraine de Dole que depuis six mois, le four banal est " en ruyne ", et qu'ils ne peuvent convenablement cuire les pâtes quand il pleut. leurs seigneurs interpellés refusent leurs demandes parce que les habitants sont sujets et de condition de mainmorte, ils ne peuvent donc ni agir , ni contraindre les dits seigneurs à refaire le four. Il est mentionné d'autre part que Guyot de Falerans et Anthoine Martin, tous deux coseigneurs de Choisey sont hors du baillage de Dole, Anthoine Martin notamment demeure à Dijon.

En marge du texte, la cour souveraine donne son accord pour que les habitants de Choisey poursuivent en justice les dits seigneurs. Ces derniers seront avertis de la décision par leurs procureurs.

La demande des habitants a dû, après un certain temps aboutir, les seigneurs propriétaires ayant à charge de maintenir en bon état leur four. On peut penser aussi que des fours clandestins ont pu se construire pendant ces temps d'après-guerre où l'organisation pour la survie était impérieuse, les seigneurs n'habitant pas les lieux.

En 1532, parmi les droits seigneuriaux de Guyot de Falerans seigneur de Grandchamp et Choisey en partie, l'article 11 lui accorde le quart des revenus du four banal de Choisey. Le bois " du Tremlay ", aujourd'hui " bois du fourg " est réservé au chauffage du four, personne ne peut y couper ou ramasser du bois et le fournier a le droit et le devoir de prendre les " mésusants " et de les amener à la justice de Choisey qui leur infligera une amende.

En 1535, le même seigneur fixe à 60 sols le délit de cuire le pain dans un four autre que le four banal. En certains lieux les possesseurs de fours étaient tenus à une taxe annuelle, cette tolérance ne semble pas acceptée par ce seigneur. Les habitants devaient payer la banalité du four par une portion de pain cuit qui était de " vingt pains l'ung " avec tourte au fournier, c'est à dire 1/20e des pains cuits. Ce taux de 5 % en nature n'était pas excessif, il concernait que la cuisson, les habitants apportant leurs pâtes à cuire.

Le four dans les droits seigneuriauxdes Saint Mauris Montbarrey :

En 1558, le 6 septembre, la famille de Saint Mauris Montbarrey s'installe à Choisey et promulgue ses droits seigneuriaux sous l'autorité d'Etiennette Bonvalot veuve du chevalier Jean de Saint Mauris, et tutrice d'Eléonor de Saint Mauris. Les droits établis stipulent que la veuve s'octroie les trois quarts des revenus du four banal de Choisey, l'autre quart étant dévolu à Alain de Falerans, seigneur de Frontenay et de Choisey en partie.

Au sujet des amendes, la grogne des habitants s'était déjà manifestée en 1535, lorsque Guyot de Falerans avait fixé à 60 sols les délits de cuire du pain chez soi, et celui de couper ou ramasser du bois au lieu du Tremblay, bois réservé au fournier. En 1558, la teneur de ces amendes est renouvelée dans les nouveaux droits des Saint Mauris Montbarrey.

Vers 1585, la population excédée par la rapacité des Montbarrey, mène de nouveau, comme en 1523, leurs seigneurs en procès à la cour souveraine du parlement de Dole. Les échevins et prud'hommes Claude et Jacques Boichut, ainsi que les 9 jurés de Choisey attesteront et défendront vivement, que les délits cités ne sont amendables que de 3 sols, non de 60 ! et que seuls les étrangers coupant du bois payaient 60 sols...

Pots de terre contre pots de fer, les amendes sont pour les seigneurs une bonne source de profit ! les mêmes droits sur le four et le bois banal du Tremblay s'appliqueront au début XVIIe siècle, lorsque les Bernard d'Authume succèderont à Jean et Françoise, enfants du chevalier Henri de Falerans-Visemal, seigneur de la Sauge, Frontenay et Choisey.

Le 29 aout 1609, ne marque pas les derniers rebondissements concernant les pannes de four. Emilland et Loys Rossigneux, prud'hommes de Choisey et Jehan Boichuz juré à Choisey vont signifier à l'admodiateur du four pour le sire de Lemuy ( Saint Mauris Montbarrey ), que le dit four de Choisey n'a pas " fournoyé "*2 les pâtes de pain depuis le début de l'année. Ils rappellent au nom de toute la communauté de Choisey au sire de Lemuy, qu'il est tenu comme à coutume de faire " cuyre et fournoyer " le pain des dits habitants. Ils protestent et même menacent. Au cas où le sire ne pourrait faire fournoyer le pain, ils assurent qu'ils dresseront leur propre four pour cuire leur pain et pâtes !..L'avertissement est signé de Gaulthier, en présence de Claude Aubriot échevin et Jean Jeunier dit Quarrey de Choisey.

En 1615, les sieurs Vatel d'Arbois et Jehan Boichuz sont admodiateurs du seigneur de Lemuy. On sait par eux que le four est enfin restauré, puisque Jehan Boichuz a fourni la somme de quatre vingt cinq francs quatre blancs, pour la réparation du four. La ramure ( le toit ) a été refaite à neuf, ainsi que les latis ( chevrons ), et la coiffe ( les tuiles ). Les trois quarts ont été remboursés à Boichuz
soixante trois francs, neuf gros, trois blancs, et le dernier quart, par le sieur Bernard d'Authume et Choisey et le sieur Sordet.

En 1725, ce sont Pierre Bonvalot et Antoine Baudot qui tiennent en amodiation le four banal de Choisey, " d'illustre et puissant seigneur Claude François Eléonor de Saint-Mauris comte de Montbarrey, Choisey et autres lieux ",*3 ( ainsi parle - t- on du propriétaire dans le contrat ) l'illustre sire, en possédant les trois quart, l'autre quart étant détenu par les dames ursulines de Dole et messieurs Richardot et Garnier, coseigneurs de Choisey. L'amodiation est faite contre une redevance annuelle pour les dits seigneurs de septante trois écus et trois livres, en pièces de monnaie du royaume.

En 1753 le 13 janvier, Claude Antoine Basson et Pierre Lapvru le jeune, échevins, à la requête des habitants de Choisey adressent une remontrance à Pierre Thiébaud et à Frédéric Renaud son consort, tous deux fermiers de la terre et seigneurie du comte de Montbarrey, ainsi qu'à Hugues Helesne, Jean Palantin et Etienne Millot, sous-fermiers du four banal de Choisey. Les habitants se plaignent en effet qu'il n'y a aucune balance en la chambre du four, et que les sous-fermiers en profitent pour majorer leur droit de cuite, ce qui provoque " des contestations et des querelles dont les suites pourraient devenir dangereuses ". D'autre part, la table destinée à recevoir les pâtes est trop petite, les pâtes sont entassées et portées au four en tombant à terre dans les cendres et la poussière. Enfin les fermiers " doivent faire rétablir le corps de la cheminée dudit four qui menace une ruine prochaine par sa caducité et vieillesse ".

En somme les habitants de Choisey ont dû au cours des siècles attendre souvent des jours, des semaines, voire des mois, le bon vouloir de leurs seigneurs pour que leur four en ruine puisse enfin " fournoyer ". On connait la suite, il sera enfin reconstruit juste dix ans avant la grande révolution par le prince de Montbarrey. En 1780, le prince n'a plus de soucis d'argent, en a-t-il jamais eu ? Il a été comme son père lieutenant général des armées du roi, nommé prince d'empire par Joseph II, titre ratifié par Louis XV, ministre de la guerre de Louis XVI, et enfin Grand d'Espagne, en1780. On ne pouvait aller plus haut dans les honneurs. Mais toute gloire a ses revers, le roi lui ayant aménagé sa résidence à l'Arsenal, proche de la bastille, il faillit se faire malmener le 14 juillet 1789 par des révolutionnaires qui l'avaient pris pour le gouverneur de la forteresse. En 1780, il avait demandé au roi sa démission de ministre, il avait vendu Choisey et Montbarrey pour s'installer au château de Ruffey-sur-Ognon. Son fils colonel d'infanterie mourra sur l'échafaud le 17 juin 1794.

 

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